Vendredi 13 novembre 2015

Je sors du RER et me dirige vers l’arrêt de bus. Je sais qu’il y a un match, ce soir les cafés du quartier ont sortis les étalages de bières pressions sur le trottoir et déversent une pop de mauvais gout dans les oreilles des passants. Le tableau du bus indique 8 minutes. J’habite de l’autre coté du stade alors j’attends, vaut mieux ca que de traverser le stade à pied par jour de match. Au moment où le bus doit arriver, il n’apparaît toujours pas, et subitement le compteur passe d’une minute d’attente à 35 minutes. Je peste contre la Ratp et puis tant pis j’irai à pied. Ma valise pèse 20 kilos et je porte mon ordi et ma flute traversière sur mon dos.

Arrivée à l’entrée de l’esplanade du stade, les policiers ont organisé un barrage. Je me met en colère : « Laissez moi passer, j’habite de l’autre coté du stade, le bus a été supprimé, je veux rentrer chez moi ». Les policiers aussi s’énervent : « Madame, vos histoires de bus c’est pas notre problème. Maintenant vous retournez vers la gare, vous ne pouvez pas passer, deux hommes viennent de se faire sauter et il y eu des morts ». Horrifiée je repars vers la gare, je vais essayer de contourner le stade par un autre chemin. Je me demande quand est ce qu’on en finira de ces psychopathes ? La veille un attentat suicide a eu lieu à Beyrouth faisant des dizaines de morts et plusieurs centaines de blessés. La Syrie est à feu et à sang depuis 5 ans. Où trouverons nous refuge quand la planète entière sera le terrain de jeu de ces malades qui croient aller au paradis en semant la mort ?
Au moment où j’arrive au carrefour pour prendre à droite vers un autre chemin, la 3eme explosion a lieu à 100 mètres de moi sur ma gauche. Que dire ? je ne crois pas pouvoir décrire la puissance du son qui m’a terrifié il faut bien le dire. Le son était énorme. J’ai vu une explosion de verre, tous les panneaux publicitaires ont volé en éclat. Et je me suis mise à courir avec ma valise de 20 kilos et la dizaine de personnes qui passaient par là. Deux policiers armés nous ont arrêté et interdit d’aller plus loin, ils nous demandé de nous cacher entre deux murs. Finalement après m’être faite braquée par la police à plusieurs reprises parce qu’ils croyaient que ma valise contenait des explosifs, après avoir trainé ma valise et mes jambes dans Saint Denis pendant plusieurs heures j’ai fini par rentrer chez moi à 23h30. Mon corps est resté tendu, figé comme de la pierre jusqu’à dimanche matin, le son de l’explosion est encore dans mes oreilles et quand j’y pense une vague de frisson me parcoure le dos.

Vendredi 13 novembre la France pleure 135 morts.
Nous sommes tous choqués et c’est bien naturel. J’aimerai partager la douleur des familles qui ont perdus des proches innocents dans les attentats, même si je ne peux imaginer la douleur qu’ils doivent ressentir.
Il y a eu depuis un peu moins de 5 ans en Syrie 250 000 morts au plus bas mot. Si on calcul une moyenne de morts par jours sur 5 ans (1825 jours) on tombe à une moyenne quotidienne de 136 morts ! C’est à dire qu’en Syrie depuis 5 ans c’est tous les jours le 13 novembre. Pour la première fois la France (et moi y compris) a senti ce que ca veut dire de risquer sa vie parce qu’on est au mauvais endroit au mauvais moment, ce que ca veut dire que l’arbitraire, ce que ca veut dire de mourir pour rien, dans une explosion, un bombardement, ou troué par la balle d’un sniper. Lorsque la 3eme explosion a eu lieu au stade de France à quelques dizaines de mètres de moi c’est à tout ca que j’ai pensé. Les Syriens fuient la Syrie pour venir se réfugier chez nous, ne ferions nous pas de même si chaque jour depuis 5 ans nous devions vivre le cauchemar que nous avons vécu vendredi dernier ?

Quelles sont les solutions ?
Les solutions sont hélas de plus en plus réduites au fur et à mesure que le temps passe, que la haine grandit et que son pouvoir se développe. Il y a des causes profondes et des causes plus proches.
Dans les causes directes et proches, on a d’abord le désordre total qui existe en Syrie et en Irak et qui profite à tout le monde (soyons clairs si il ne profitait pas aux grandes puissances dans lesquelles nous vivons elles y auraient mis un terme depuis longtemps). Ce désordre existe en Irak parce que la chute de Saddam Hussein n’a pas laissé la place à une organisation sociale saine, mais à des gens corrompus mis en place par les USA pour servir leurs intérêts.
Ensuite le désordre total s’est installé en Syrie suite à l’émergence d’un mouvement d’émancipation en Syrie il y a 5 ans. Les Syriens ont exigé la liberté et depuis ils n’ont cessé d’être réprimés dans le sang par le régime de Bashar Al Assad, qui a non seulement entrepris une ligne d’extermination de franges entières du peuple par bombardement, famine (sièges des villes pour affamer les populations jusqu’à ce que mort s’en suive) et torture (il existe aujourd’hui en Syrie des camps d’exterminations de grande échelle) mais qui a aussi systématiquement encouragé de façon directe et indirecte le développement des mouvements djihadistes et en 1er lieu Daech. Il faut donc déjà en finir avec Daech et avec le régime syrien qui ne sont que les deux faces d’une même pièce.

Mais les auteurs et les organisateurs qui sont à l’origine des attentats qui ont eu lieu à Paris sont Français et Belges. Si on en finit avec Daech et avec le régime syrien de Assad, si on rend au Syriens un pays dans lequel ils peuvent vivre sans avoir constamment peur de mourir sans raisons, on retire à ces Français et à ces Belges la possibilité d’aller en Syrie se former aux techniques du terrorisme. Mais la haine qui existe en eux et qui les pousse à démolir leur propre pays, leur propre nation, et leurs propres concitoyens, cette haine persistera même après la chute du régime d’Assad et la disparition de Daech. Ils trouveront d’autres écoles, d’autres moyens de se former au terrorisme. Et c’est là où il faut aussi avoir le courage de se regarder en face. La radicalisation de ces hommes et de ces femmes, nés en France ou en Belgique ce n’est pas un problème syrien, c’est un problème français, un problème belge. C’est notre problème. C’est notre société qui fabrique cette haine chaque jour. Nous avons du travail à faire sur ce que les gouvernants appellent « l’intégration ». Un homme issu d’une culture, et né dans une autre culture, ne peut sentir qu’il y appartient qu’à condition que cette culture le respecte. Tant que la France ne fera pas preuve de respect envers les Français issus de l’immigration, tant qu’on nous demandera de rendre des comptes concernant notre identité, alors on aura des Français prêts à se venger de la nation qui les vu naitre sans cesser de les rejeter.

Il faut donc de toute urgence à la fois mettre un terme à la situation plus qu’explosive qui en Syrie créé un désordre sans nom qui pousse les Syriens à l’exil et à la recolonisation du pays par des habitants non syriens, venus en Syrie pour mettre sur pied « l’Etat Islamique » dont ils rêvent. Et en même temps de façon toute aussi urgente travailler en France (ou en Belgique ou ailleurs) à un changement profond d’attitude envers les citoyens issus de l’immigration. Car ces citoyens ne demandent qu’à être acceptés. Plus on tarde et moins cela sera possible. Il est urgent de se réveiller et de prendre enfin nos responsabilités.

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