Voilà le genre d’interrogatoire que le projet de loi sur la déchéance de la nationalité nous amène à subir, nous qui avons une double nationalité et une double culture.
D’abord pour répondre à la question. Puisque je suis fille de Syriens je suis potentiellement syrienne, c’est à dire que j’ai mécaniquement la nationalité syrienne. Pour ne pas l’avoir il aurait fallu que mes parents cachent mon existence aux services d’état civil de leur pays de naissance. Quand bien même je n’aurai jamais réclamé de passeport syrien, je serai syrienne quand même et donc potentiellement destituable de mon identité française.
Ensuite si j’ai fait une demande de passeport syrien il y a plusieurs années (avant que la situation en Syrie devienne ce qu’elle est du fait de l’échec de la révolution), ce n’est pas seulement pour ne pas avoir à demander de visa pour aller voir mes proches et mes amis en Syrie. C’est aussi parce que nous, les binationaux nés en France, nous avons besoin de reconnaissance (reconnaissance dans le sens de respect et non pas de simple constat) de notre double identité.
Et c’est ce point là auquel je voudrais arriver, la France parce qu’elle réclame un choix et donc la négation d’une partie de soit créé du rejet et de l’exclusion. Qu’on ne vienne pas me dire que la France ne demande pas ce choix, parce qu’elle ne le faisait pas officiellement. Le fait qu’aujourd’hui la déchéance de la nationalité paraisse tellement évidente voir légitime, à une grande majorité de Français prouve bien qu’il y a une attitude française collective qui considère qu’on est seulement français ou qu’on ne l’est pas vraiment. Soit tu aimes la France et alors tu renies toute autre identité, soit tu n’es pas vraiment française. Il est exactement là le drame pour tous les binationaux nés en France, on leur refuse leur pleine identité française parce qu’elle n’est pas exclusive. Aujourd’hui le projet d’inscrire dans la constitution une distinction entre vrais français (exclusivement) et faux français (binationaux) a mis en lumière cette exigence cachée de la France envers toute une partie de son peuple : renier une partie de soit.
Parce que c’est de cela qu’on parle quand on parle d’identité, on parle de l’être. Mon identité c’est ce que je suis. Et c’est aussi pour ca que ce projet de loi est odieux, parce qu’il a permis la banalisation de se retrouver pour un binational dans la situation de devoir rendre des comptes à tout un chacun sur son identité, sur son être. Elle est là aussi la blessure, non seulement ce choix réclamé inconsciemment et de façon invisible est devenu un projet de loi à inscrire dans la constitution, mais il nous expose chaque jour à devoir rendre des comptes sur ce que nous sommes, pour rien, juste parce que cette loi a rendu ces interrogations légitimes.
Sachez donc d’une part qu’on ne peut pas demander à quelqu’un de renier une partie de soit sans créer chez lui à la fois un trouble psychologique et donc de la rancœur, et sachez d’autre part que vos interrogatoires nous blessent profondément, que c’est déjà assez durs de se construire lorsqu’on a une double identité pour ne pas avoir en plus à rendre des comptes sur notre être.
